2022 : peut faire mieux

Bonjour les deux du fond ! Oui, cette année je suis très, très en retard pour le bilan annuel. Il faut dire que je sors d’un tunnel de boulot où j’étais engagé, la tête dans le guidon, depuis novembre. Piètre excuse, mais tant pis : puisque mieux vaut tard, voilà en mars 2023 le bilan de mon année 2022, pour ceux et celles que ça intéresse encore.

D’abord, il faut noter que j’ai créé des jeux, un peu. Au vu de mon usure créative ces dernières années, ça me fait plutôt plaisir d’avoir remis les mains dans le cambouis. D’abord, il y a un jeu dont je ne peux pas parler, parce qu’il repose sur un twist, et que du coup, si un jour prochain je l’aboutis pleinement et le diffuse d’une manière ou d’une autre, ben ça vous gâcherait le truc. Il s’agit d’un jeu engagé, sur le thème de la décroissance, et d’un nécessaire changement de nos modes de vie vers plus de sobriété. Les premiers retours ont été vraiment bons, ce qui m’a encouragé à continuer – et puis vers le printemps je me suis un peu embourbé dans le développement, sans trouver la bonne solution pour une refonte nécessaire. Je l’ai donc laissé de côté un temps. J’ai bien fait, je pense, puisqu’en revenant dessus il y a quelques semaines, avec l’esprit plus clair et moins d’attachement à certains pans de jeu, j’ai vu où je pouvais tailler pour le rendre plus fluide et plus épuré.

Ensuite, pendant l’été j’ai bossé sur une petit puzzle game coopératif que j’ai proposé lors de notre petit concours interne au GRAL (je vous laisse lire l’article sur la Quête du GraAL pour en savoir plus). Le jeu n’a pas été retenu, mais il a obtenu un nombre de voix honorable, et je lui trouve des qualités. Puisque je n’ai plus les contraintes de la game jam, un de ces quatre je prendrais sans doute le temps de le revoir pour l’aboutir, je n’étais vraiment pas loin de la bonne formule. Je trouverais bien, par la suite, une façon de le diffuser. Enfin, l’auto-éditer, quoi. Mais en petit nombre, et fabriqué local, ou en « fabriqué à la demande ».

Ce qui m’amène à une question qui me taraude depuis quelques temps : comment le jeu de société moderne peut il parvenir à conserver cet élan créatif, cette profusion des propositions, sans produire des millions de boite en Chine ? Voire, sans produire des millions de boites tout court ? Ne nous mentons pas : ce qui a permis l’essor du jeu de société moderne, c’est la mondialisation (et le bouillon de culture créé par internet). Maintenant qu’il est devenu clair que ce mode de fonctionnement détruit la planète, quelle alternative ? D’abord, à mon sens, il faut évidemment produire moins. Mais si on veut que les jeux puissent être joués par le plus grand nombre malgré tout, alors il faut produire peu d’exemplaires, et les mutualiser. Des réseaux existent : celui des ludothèques, des bars à jeux. Le jeu est avant tout une expérience vécue, on a pas forcément besoin de le posséder. Alors oui, ça pose d’autres questions : quid des boutiques de jeux, des distributeurs ? et comment faire vivre le ou les créateurs du jeu avec si peu d’exemplaires ? Je n’ai pas de réponses parfaites à ces questions. Une société plus sobre impliquerait que bon nombre d’entre nous change de vie – moi le premier : graphiste sur ordinateur et prof dans une école de jeu vidéo, alors que nous aurions plutôt besoin d’un bon million de personnes au maraichage, je ne ferais pas long feu… mais c’est nécessaire.

Au passage, ça impliquerait que les auteurs soient moins dépendants des éditeurs pour légitimer leurs oeuvres et leur métier (et merci à Vi Tacq pour avoir planté la graine de cette réflexion dans mon for intérieur). Bon nombre d’auteurs de jeux ne se sentent pas légitimes tant qu’ils n’ont pas signé leur premier jeu. Je peux le comprendre, mais ce n’est pas normal : si nous voulons que la société nous considère comme des artistes auteurs, nous devons être les premiers à l’appliquer à nous-même. Si nos créations sont jouées, alors elles existent et sont déjà pleinement légitimes, même sous forme de prototypes.

Ensuite, il faut sortir de la dépendance au marché du jeu de divertissement. En décembre dernier, une délégation de représentants du milieu s’est rendue à l’assemblée nationale pour parler de notre media à quelques parlementaires. Une proposition de loi pour faire reconnaitre le jeu de société comme oeuvre de l’esprit devrait être déposée dans l’année. En toute franchise, quand on a commencé à revendiquer les modifications de textes de lois il y a quelques années à la SAJ, je ne pensais pas que je le verrais de mon vivant : or c’est en train de se produire, et c’est historique (pour notre petit milieu…). Les conséquences de cette reconnaissance statutaire ne sont pas anodines : en dehors de notre rattachement potentiel à la SOFIA, du dépôt légal, etc., ça signifie que bon nombres de budgets dédiés à la culture, au niveau national ou local, pourraient permettre à des jeux différents d’exister. Des jeux qui ne cherchent pas forcément à divertir, ou à innover mécaniquement. Ca permettrait à des auteurs et des autrices qui ont un propos, une intention de faire exister leurs créations. Et enfin, peut être, le jeu de société finirait par acquérir sa maturité culturelle…