Wiraqocha : et pan, dans ta tête de mort

Sonnez trompettes, voici édité mon premier jeu dont la boite dépasse la taille d’un paquet de cigarettes ! Trois ans après le premier proto, la première ébauche – revenons un peu, mes deux fidèles lecteurs, sur la génèse de ce jeu, qui j’espère saura trouver son chemin dans la jungle des sorties ludiques de l’année.

Tout a commencé en observant une tournante au camping. Que les offusqués se rassurent, nous parlons ici de jeux d’enfants. Non, ne partez pas, je parle de ping pong. 

Les gamins sont les plus grands auteurs de jeu que la terre ait porté. A défaut qu’un seul d’entre eux soit le génial inventeur de ceci ou de cela, ils se transmettent par tradition orale des perles ludiques de cour de récré, dont on peine, à l’âge adulte, à retrouver les sensations à l’aide de mécaniques inutilement complexes. Ici, ils jouaient au ping pong dit « à la tournante ». Un ingénieux système de « vies » permettait de ne pas être éliminé lors des coups les plus retors. Mieux encore, ils y jouaient par équipe. Lorsque son partenaire était éliminé, il posait sa raquette sur la table – si on parvenait à la toucher lors d’un échange, le dit partenaire pouvait revenir en jeu, comme ça, pouf. A la simple dextérité de savoir renvoyer la balle, venait s’ajouter le talent de pouvoir viser la raquette de son coéquipier, et surtout de ne pas toucher celle du joueur adverse éliminé. Un principe simple, qui donnait des parties endiablées. 

J’étais persuadé qu’on pouvait en faire quelque chose.

J’imaginais donc un système avec des dés à combiner, un plateau comportant des scores à atteindre. J’ai bricolé ça sur une feuille de papier machine et l’ai testé le soir même avec des neveux et nièces. C’était chouette, même si ça n’avait finalement rien à voir avec cette épique partie de ping pong (dont je ne désespère pas de recréer l’essence un jour dans un petit jeu).

 Combiner les dés, arranger les zones de jeu en fonction de leurs probabilités sur plusieurs D6, le principe était là. Quelques semaines plus tard, j’avais un système de jeu qui tournait pas trop mal, que j’avais nommé « Ashketh : la Cité des Voleurs ». Le plateau tenait sur une feuille A4, et il suffisait de quelques jetons et d’une dizaine de dés. A la différence des autres jeux que je montrais d’habitude à mon entourage, ce coup ci on me demandait de refaire une seconde partie, ce qui était encourageant (ou décourageant, si on considère que tous mes autres jeux ne valent pas tripette^^) ! Je pensais bien tenir un truc qui tenait la route. J’ai donc inscrit le jeu au concours canadien NTPLSM. 

Le concours s’étalant sur quelques mois, au fil du temps le jeu a évolué. Ma principale déception venait du fait que le jeu restait très abstrait, trop mécanique. J’avais eu beau mettre des têtes de voleurs sur mes pions, de jolis visuels sur mon plateau, les joueurs ne parlaient que des chiffres à obtenir avec les dés. Le thème passait forcément au second plan. Tous mes efforts depuis se sont concentrés sur ce point. La réussite n’est pas totale, la mécanique reste très présente, mais pour les joueurs aguerris – et ceux qui ont le goût de la mise en scène de leurs parties -, j’entends plus souvent parler autour de la table de cristaux de Somnium, de zeppelins et d’explorateurs que de double six.

Ashketh est arrivé en finale du concours (joie!). J’ai donc envoyé deux prototypes du jeu au Canada, avec un copieux errata leur suggérant de jouer avec les nouvelles règles, même s’il ne s’agissait pas de celles ayant passé les sélections. En plus du système de conquête avec les dés, j’avais ajouté des cartes Lieutenant mettant un peu plus en valeur le thème, et permettant de varier les parties. Mais la victoire dépendait toujours d’un système de majorités alambiqué, et se comptait, oui messieurs dames, en Points de Victoire. Qu’est ce que c’est moche, un point de victoire.



Sans doute pour toutes ces bonnes raisons, le jeu n’est pas allé plus loin. Il avait néanmoins été assez loin pour que les règles soient passées sous le nez des éditeurs partenaires du concours, ce qui pour moi valait déjà beaucoup. Fort de ce succès relatif, j’ai donc pris un proto sous le bras, et réservé un aller retour pour le festival du jeu de Cannes 2010. Là bas, j’ai découvert le labeur ingrat de l’auteur de jeu « qui-n’en-veut ». « Bonjour, voilà je voudrais vous montrer un prototype, je pense que ça peut vous intéresser », et bla, bla, bla. L’impression étrange que ces gens sont fatigués rien qu’à vous regarder débiter cette phrase, pourtant pleine de sens. Heureusement, un ou deux éditeurs ont paru suffisamment enthousiastes pour justifier cette indignité de camelot. J’ai d’ailleurs laissé mon proto à l’un d’eux en repartant, et pris rendez vous avec un autre pour un test en région parisienne.



Parallèlement, j’avais inscrit le jeu à un concours organisé par Plato mag, qui cherchait à l’époque à trouver des jeux publiables dans un hors-série rempli de punched boards. Le mien collant au projet, je l’ai proposé, et j’ai été retenu. C’est ainsi que plusieurs mois plus tard, lorsque « Sit Down! » a vu le jour, Didier Delhez m’a contacté pour être le premier jeu de sa toute nouvelle maison d’édition. Flatté je fus, bien sûr. Déçu un peu, parce que le modèle économique décidé pour la distribution imposait une vente en ligne exclusivement sur le site de l’éditeur. Comme tout auteur, si on fait ça, c’est aussi un peu pour la petite gloire de voir son jeu en boutique, à côté de jeux d’auteurs que l’on apprécie. 



Entre temps était paru chez Hazgaard un très joli jeu intitulé « Cadwallon : la Cité des Voleurs ». Autant pour moi et ma cité des voleurs, le thème, ou en tout cas le nom, allaient devoir être revu (j’ai rencontré Laurent Pouchain depuis, lorsqu’il a testé Wiraqocha au festival de Cannes 2011 : peu d’auteurs sont venus jouer, j’ai trouvé ça de bonne augure qu’il soit l’un d’eux^^). Didier Delhez voulait de toute façon changer de thème. Lorsque je me suis remis sur le jeu, je n’avais pas retravaillé le projet depuis plusieurs mois, j’étais passé à autre chose. Du coup, j’avais le recul nécessaire pour décider des coupes sombres qu’il allait falloir effectuer. Il fallait revoir un certain nombre de choses, les conditions de victoire, remplacer le système de majorité. J’en ai profité pour passer l’aire de jeu sur des tuiles modulables, ce qui me déchargeait de l’équilibrage de leur placement d’une part, et augmentait la rejouabilité d’autre part. J’ai également donner à chaque type de pion une utilité spécifique. Toutes ces modifications ont réussi, je le crois, à rendre le thème plus pregnant. 

Le jeu, lui, reste toujours nerveux, agressif, rapide et opportuniste. Se donner les moyens d’optimiser le hasard est la première clé du succès. Savoir s’acharner sur celui qui menace de gagner dans deux tours est la seconde^^. A jouer donc avec des amis que l’on a l’habitude de trahir et de piétiner autour d’une bonne bière…:)